« Un parcours un peu atypique ». C’est ce que Nathalie Séjourné répond en préambule, quand on l’interroge sur son cursus. La formule est classique, mais sonne juste en ce qui la concerne. A un point même où on pourrait supprimer le « un peu ». Qu’on en juge. Il commence par des études d’expertise comptable et des « classes » faites dans un cabinet situé à Antony. Sa carrière était ainsi toute tracée avec, en perspective, de quoi vivre confortablement. Sauf que l’entreprise du père, jusqu’alors florissante, commence à battre de l’aile. « Dessinateur industriel chez Alcatel (site de Nozay), il s’était passionné de photographie au point d’avoir aménagé un laboratoire dans le grenier de la maison puis créer sa propre société : Atelier Photo 32 Bis (en référence au numéro de l’adresse postale, à Saulx-les-Chartreux). De portraits et de photos de mariage, il en vient à l’affichage et panneaux grand format pour les besoins de campagne de communication de gros clients : HP, le ministère des Transports, etc. A son apogée, la société comptera jusqu’à une vingtaine de salariés.
Un sens du dévouement
Début des années 90, patatras… Atelier Photo 32 Bis subit de plein fouet la crise (dans les entreprises, le budget communication est le premier revu à la baisse…). « Mon père était un photographe dans l’âme, pas un chef d’entreprise ; gérer du personnel, ce n’était pas son truc !». Le dépôt de bilan se profile. En 1998, il finit par solliciter l’aide de sa fille. « Parmi ses quatre enfants, j’étais la seule à être dans les chiffres. » La même : « S’il fallait que je fasse quelque chose de bien dans ma vie, c’était l’occasion où jamais.» Elle démissionne donc de son cabinet d’expertise comptable, où un bel avenir lui était pourtant assuré, et rejoint Atelier Photo 32 Bis, sans même attendre de décrocher son diplôme (qui lui donnerait pourtant le droit d’ouvrir son propre cabinet). Des mois durant, elle s’emploie à rétablir la situation en démultipliant les démarches auprès des huissiers, des services fiscaux et de l’Urssaf… Le sort s’acharne cependant : en mai 1999, son père tombe gravement malade et décède en janvier 2000 d’une tumeur au cerveau.
Nathalie ne se résout pas à fermer l’entreprise ni à se séparer du patrimoine accumulé au fil du temps et encore moins à renoncer à obtenir son diplôme d’expert-comptable. Tout en poursuivant le redressement de l’entreprise, elle se replonge dans ses études, entame la rédaction de son mémoire d’expertise comptable – l’ultime étape qui lui manquait – et obtient son DEC (Diplôme d’expert-comptable), en juin 2000. « Se concentrer sur une tâche ardue peut aider à surmonter les épreuves de la vie », commente-t-elle sobrement.
Deux ans plus tard, le destin daigne lui sourire de nouveau, en lui faisant faire une rencontre providentielle avec Alain, son actuel compagnon. « Nous venions tous les deux de divorcer. A l’époque, lui, vivait en Alsace, où il occupait un poste qui l’ennuyait. » Elle lui propose donc de la rejoindre en prenant en charge la direction commerciale de l’entreprise familiale. Ce qu’il fait avec efficacité : la société poursuit son redressement en décrochant de nouveaux contrats auprès de grands noms (LVMH, Lalique, Waterman, Cofiroute, Du Pareil au Même…). La société déménage dans de plus grands locaux, toujours à Saulx-les-Chartreux, et devient A32BIS. Mais Nathalie ne se résout pas à rester cantonnée à des tâches administratives, encore moins à ne pas voler de ses propres ailes.
Retour aux premiers amours
En 2008, elle décide de laisser Alain prendre seul les rênes de A32BIS et retourne à ses premiers amours, l’expertise comptable. Elle ouvre son cabinet, sans pour autant rompre tout lien avec A32 Bis : « Ce fut mon premier client ! » Très vite, elle développe son portefeuille, en recrutant des apprentis. Même si les effectifs ne compteront jamais plus de trois collaborateurs Cabinet Séjourné prospère.
Ces dernières années, Nathalie doit cependant, comme les autres experts-comptables, faire face au défi de la numérisation du métier et à tout ce qui s’en suit : la création de plateforme internet, le stockage numérique des données,… Loin d’y voir une contrainte, Nathalie y perçoit une opportunité, celle de valoriser le télétravail. « L’expertise comptable fait partie des professions qui peuvent en tirer le mieux parti ».
Un déclic
Avril 2017 : un déclic se produit. « Nous revenions en voiture d’un séjour en Bretagne. Pendant les quatre heures qu’avait duré le trajet, je n’avais pas desserré les dents – je phosphorais autour de l’idée d’une structure, qui permettrait de trouver du travail à des personnes disposant de compétences en expertise comptable, mais sans pouvoir les exercer en dehors de chez elles. » Elle pense alors à ces femmes vivant seul avec enfant. Mais, de fil en aiguille, elle s’oriente vers des personnes en situation de handicap : se déplaçant en siège roulant ou atteintes d’une maladie, qui en affecte la motricité ou la capacité à travailler dans un milieu professionnel ordinaire.
Quand bien même l’enchaînement logique saute aux yeux, on l’interroge ce qui l’a prédisposée à se préoccuper ainsi du sort de cette catégorie de population. Bien nous en a pris car la réponse révèle d’autres aspects de la personnalité de Nathalie et de son parcours de vie. « Depuis toute petite, je ne supporte pas les injustices ! » Comme ces fois où, à l’âge de 14-15 ans, elle faisait des scènes à ses parents pour exiger qu’ils abritent les mendiants qu’elle avait croisés dans le métro… En revanche, nulle épreuve de handicap à endurer de son côté (elle glissera sur l’évocation d’une enfance « un peu compliquée ») ou celui de ses proches. « J’ai la chance d’avoir quatre enfants, tous bien portants ! »
Aujourd’hui, la femme, qui est devant nous parle posément, avec juste ce qu’il faut de passion. Mais l’apparence est trompeuse. Comme la suite du récit en témoigne, elle est mue par une détermination tranquille, de celle qui remue ciel et terre pour parvenir à ses fins. Non par goût d’avoir le dernier mot, mais par souci d’améliorer le sort d’autrui. Et quand bien même serait-elle mal récompensée de ses efforts et de sa générosité. Manifestement, les apprentis qu’elle a pris la peine de former, en les prenant sous son aile, n’eurent pas toujours scrupule à se montrer ingrat… « Une fois leur première expérience professionnelle acquise, ils s’en vont la valoriser chez des cabinets plus gros. » Un constat amer qui rend son nouveau projet d’autant plus attractif à ses yeux : « Au moins, là, en permettant à des personnes d’exercer leurs compétences, par le télétravail, j’ai le sentiment de rendre un réel service suffisamment gratifiant pour ne pas en attendre un autre retour. » Son idée a si bien suivi son cours que quelques mois après le déclic, elle se concrétise sous la forme de Réseau-Experts, une société commerciale créée en sus de son cabinet d’expert. Quant au choix de ce statut, elle le justifie par une obligation édictée par l’Ordre des Experts Comptables – un cabinet d’expertise comptable ne peut être constitué en simple association. Avant de se lancer dans la création de ce Réseau-Experts, Nathalie a pris le temps de s’assurer que son idée répondît à un réel besoin. En juin 2018, elle s’est rendue à Automatic, le salon des acteurs du handicap, du grand âge et du maintien à domicile, qui se tient chaque année dans huit villes françaises, dont Paris. Elle y a interrogé au hasard des personnes croisées dans les allées ou sur les stands. Toutes le lui ont dit d’une façon ou d’une autre : oui, bien sûr, la possibilité de travailler chez soi leur simplifierait bien la vie ! On s’en serait doutée, mais Nathalie avait besoin de l’entendre.
Sur les ondes de Vivre FM
Souvent, dans le récit d’un projet entrepreneurial, qui rencontre un succès, il y a un média qui s’en ait fait un large écho à travers un reportage ou une interview. La « règle » se vérifie dans le cas de Réseau-Experts. Le média en question : la radio Vivre FM, qui faisait des émissions en direct sur le salon. Nathalie s’est risquée à interpeller la première personne croisée. Bonne pioche. C’est Jean-Baptiste Bergès, son rédacteur en chef. Mais c’est le rush. Elle aura juste le temps d’exposer son projet, de laisser sa carte de visite et de s’entendre dire. « Cela tombe bien, des personnes handicapées qui aimeraient pouvoir travailler, j’en connais plein ! Je vous rappelle ! ». Parole tenue, à peine deux jours plus tard. Une première proposition s’impose : interviewer Nathalie sur les ondes de la radio, dans le cadre de la rubrique « L’info différente ». Elle en apprend elle-même plus sur la radio : 50% des personnes qui y travaillent sont en situation de handicap, plusieurs d’entre elles ayant transité par MediaLab, qui s’emploie à réinsérer dans la vie professionnelle des personnes ayant connu un accident dans leur parcours de vie, source d’un handicap psychique. De quoi séduire Nathalie : « Vivre FM ne défend pas seulement la cause du handicap, elle agit aussi vraiment dans ce domaine ! ».
Podcastable, son interview fait un tabac, en faisant exploser le compteur de likes sur Vivre FM*. Au moment de l’entretien, elle en totalisait plus de 20 000… Reconnaissante, Nathalie s’est fendue d’un message de remerciement à l’intention de Frédéric Cloteaux, directeur de la radio. « L’écho rencontré par l’interview avait achevé de me convaincre de poursuivre mon projet.» Il convainc aussi le destinataire du courriel à proposer à Nathalie de faire, à compter de la rentrée 2018, une chronique hebdomadaire (le mercredi). Le principe : traiter d’un sujet susceptible d’intéresser les chefs d’entreprises comme, par exemple, le prélèvement à la source, la création d’entreprise ou encore les faux experts comptables, en l’élargissant, lorsque le sujet s’y prête, à la question du handicap. Ainsi la chronique sur la création d’entreprise sera l’occasion de rappeler les aides prévues pour les personnes en situation de handicap.
De Réseau-Experts à Réseau-Experts Plus
L’engagement de Nathalie, car c’en est un, se bornerait-il à cela, il mériterait déjà tout notre respect. Sauf que Nathalie ne s’est pas arrêtée en si bon chemin. Une autre idée lui est venue en tête : créer une seconde structure, dédiée cette fois à l’ensemble des personnes qui souhaiteraient trouver des missions, en télétravail.
Mais ne brûlons pas les étapes. Avant, il y a le premier recrutement de Réseau-Experts, intervenu en octobre 2018. Le nom de l’apprenti : Romain, qui, atteint d’une amyotrophie spinale, se déplace en fauteuil roulant. On peut faire plus ample connaissance avec lui au travers d’une vidéo accessible sur le site de Réseau-Experts*. Manifestement tout se passe bien comme le confirme l’échange que Nathalie improvise durant notre entretien, via son smartphone, par skype.
Pour lui permettre de télé-travailler, Réseau-Experts ne se contente pas de lui fournir de quoi s’occuper, il fait le nécessaire pour installer le matériel : ordinateur, écran, scan,… (ce que le lecteur peut découvrir aussi sur la vidéo) le « technicien en informatique », qui fait tout le nécessaire, n’étant autre qu’Alain. On mesure à quel point les technologies peuvent aussi faciliter la vie et la communication : « Roman me slack ou skype dès qu’il a besoin de quelque chose.» De même, les réunions avec les clients se font naturellement, par skype.
Expert-comptable, mais pas que
Et ces clients justement, qu’en pensent-ils ? La réponse à la question rend compte du cheminement fait par Nathalie pour décider de l’attitude à adopter vis-à-vis d’eux. « Au début, je pensais afficher haut et fort en première page du site que tous les collaborateurs de Réseau-Experts étaient des personnes en situation de handicap.» Un message que Romain l’a cependant convaincue de nuancer. « Lui, sait pertinemment le regard que les autres portent sur son handicap. » Finalement, le visiteur est accueilli par un : « Expert-comptable, mais pas que… C’est parce que nous sommes différents que vous ne vous sentirez plus jamais seuls. » Une phrase sibylline de prime abord, mais qui prend tout son sens à la lecture des pages suivantes.
Quoi qu’il en soit, les clients dont les dossiers sont suivis par Romain n’y voient que du feu. C’est le cas de cette startuppeuse, qui eut l’occasion d’échanger avec lui, mais en ignorant tout de sa situation. Jusqu’à ce que Nathalie lui demande si elle accepterait de témoigner pour les besoins d’un article du Parisien. Elle ne pouvait pas mieux tomber : elle-même est atteinte d’une sclérose en plaque…. « C’est dire si elle savait ce que travailler avec un handicap veut dire ». A tel point qu’elle se dira prête à recruter à son tour en télétravail une personne à mobilité réduite.
Donner l’exemple
Une réaction qui ne pouvait que ravir Nathalie : « Mon objectif ultime est de convaincre des chefs d’entreprise à sauter le pas. » La loi de 2005 (pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées) n’a-t-elle pas contribué à mieux insérer ces personnes dans les entreprises, s’enquiert-on ? Nathalie nuance : outre le fait qu’elle ne concerne que les entreprises de plus de vingt salariés et que beaucoup d’entre elles préfèrent payer une taxe, la loi n’a pas été conçue pour promouvoir cette insertion par le télétravail. En la matière tout ou presque reste à faire.
A travers Réseau-Experts, Nathalie se propose donc de pallier à cette situation en administrant la preuve que les compétences ne manquent pas parmi les personnes en situation de handicap, y compris pour des professions réglementées exigeant de grandes capacités intellectuelles. « L’insertion du handicap n’est pas condamné à se limiter aux seules activités manutentionnaires, comme celles proposées dans les Etablissements et Services d’Aide par le Travail (ESAT), au demeurant fort utiles. » « Pour être en situation de handicap, insiste-t-elle encore, une personne n’en a pas moins un cerveau et des qualifications élevées. »
Comme portée par une dynamique
Malgré l’ampleur de la tâche, on sent Nathalie comme portée par la dynamique enclenchée par son projet. « Quand vous vous lancez dans un projet auquel vous croyez dur comme fer, les portes s’ouvrent miraculeusement. Vus faites les rencontres avec des personnes qui vous prodiguent l’aide ou les conseils dont vous aviez besoin. Forcément, cela porte. » La même : « J’ai en outre constaté que beaucoup de personnes s’interrogent, passée leur 50e année, sur le sens de leur vie. » Ce fut manifestement son cas. « J’estime avoir assumé mes responsabilités de mère. J’éprouve désormais le besoin d’être utile autrement, en m’engageant en dehors du seul cercle familial. »
Même si elle compte bien que d’autres suivent son exemple, elle n’exclut pas de recruter de nouveau. « En l’état actuel, mon cabinet d’expertise libéral historique créé en 2008 me suffit à subvenir à mes besoins et ceux de ma famille. » Désormais, tout nouveau client est donc orienté vers Réseau-Experts, sachant qu’il faut en compter une vingtaine pour justifier le recrutement d’un collaborateur supplémentaire. C’est dire les efforts de prospection à consentir. Mais Nathalie ne répugne pas à l’idée de développer la fonction commerciale de son réseau. Ni à investir en matière de formation. « La plupart des CV que je reçois n’ont pas le niveau de qualification requis (la plupart mentionne un BTS compta-gestion ou commercial). » Loin de la décourager, c’est ce constat qui l’a encouragée à créer, à plus ou moins longue échéance, une autre structure (on y revient). Nom probable : Réseau-Experts Plus. Egalement dédiée aux personnes en situation de handicap en quête de travail, elle pourvoirait aux besoins dans d’autres domaines que l’expertise comptable : la téléprospection, l’informatique, la gestion… Comme Réseau-Experts, elle ne se bornerait pas à mettre en relation, mais assumerait l’installation des outils de travail, la prise en charge des démarches administratives et le suivi des personnes ainsi recrutées. Les premières réactions sont plus que positives. Récemment, un bureau d’études à qui elle faisait part de son projet a réagi du tac au tac, emballé : « Si vous me trouvez un dessinateur, je le recrute sur le champ ! »
L’enjeu de la formation
A peine cette seconde structure imaginée, Nathalie se projette encore plus loin en songeant, pour les besoins de mises à niveau, à la création d’une école « adaptée », au sens où elle serait à même d’accueillir pendant une ou deux semaines des personnes à mobilité réduite ou ayant à suivre un traitement contraignant. On s’étonne qu’elle ne songe pas à des formations à distance voire à des Mooc pour épargner un déplacement à ces personnes. Tout en reconnaissant l’intérêt de ce genre de solution et des formations à distance en général, Nathalie considère que « rien ne remplace le contact direct, le face à face, les interactions avec le formateurs comme avec les autres stagiaires ». On ne la démentira pas. La même : « Une telle école serait d’ailleurs adaptée pour Romain lui-même, qui, en l’absence de structures d’accueil adaptées, n’a pas les moyens de parachever sa formation pour obtenir le DEC. »
Et Nathalie de finir par s’inquiéter de donner l’impression de trop en faire avec le risque de s’épuiser. Remarque qui lui a déjà été faite… Elle propose donc de reparler plus tard de ce projet d’école, tout en insistant sur l’enjeu de la formation. « Je reçois régulièrement des messages sur le mode “ Dommage, le poste m’intéresse, mais je n’ai pas le niveau requis…” ». A suivre, donc.
Pour en revenir à Réseau-Experts Plus, elle précise avoir l’intention de l’inscrire cette fois résolument dans le cadre de l’économie sociale et solidaire. « A la différence de Réseau-Experts, qui intervient dans le champ de l’expertise comptable, je n’ai pas obligation de le constituer en société commerciale ». On ne manque pas d’évoquer l’entrepreneuriat social dont un éminent représentant, Jean-Guy Henckel, a non seulement implanté son propre réseau de jardins de Cocagne sur le Plateau de Saclay, mais encore participé à la constitution du Mouves, le Mouvement des entrepreneurs sociaux. Un mouvement que Nathalie connaît bien pour y avoir adhéré sans même attendre la création de son second Réseau-Experts !
Le monde à l’envers
« Le monde à l’envers », c’est la situation que Nathalie ne cache pas vouloir provoquer au final. « L’autre jour, je me suis surprise à décliner la candidature d’une personne qui avait les compétences requises, mais sans être en situation de handicap ! » De là à ce qu’on lui fasse le reproche de faire de la discrimination à l’embauche… Elle, dans un sourire : « Ce jour-là, j’estimerais avoir atteint mon objectif ! »
On hésite à poser cette autre question tant la problématique paraît concernée tout territoire. On s’y risque : en quoi l’écosystème Paris-Saclay s’est-t-il révélé favorable au déploiement de ses projets ? La réponse fuse : « Etre reconnue dans cet écosystème-ci, c’est essentiel. D’abord, parce qu’il compte de nombreuses petites structures auxquels on peut apporter une vraie solution à la problématique de l’accompagnement ou du recrutement ». Ensuite et peut-être surtout : « C’est un vivier de jeunes entrepreneurs et créateurs, lesquels sont a priori plus sensibles à la cause du handicap, mais aussi au bien-être au travail. » La réaction de Sandrine, la startuppeuse évoquée plus haut, en fournit une parfaite illustration. Déjà, Nathalie envisage, comme on le lui a suggéré, de présenter ses projet aux étudiants qui suivent le DU entrepreneuriat, création et développement de startups innovantes. Mais Paris-Saclay, se sont aussi de grandes entreprises, que Nathalie ne demande qu’à convaincre de recourir à l’un ou l’autre de ses réseaux.
Des élus à l’écoute
A ce stade de l’entretien, on ne doute plus de la capacité de Nathalie à déplacer encore des montagnes. D’autant qu’elle ne compte pas son temps ni son énergie pour faire connaître sa démarche et obtenir le soutien des pouvoirs publics comme des élus. De ce point de vue, on est bluffé par la liste des personnalités qu’elle est déjà parvenue à convaincre. Fin 2018, elle était, grâce à la recommandation de Stéphane Bazile, le maire de Saulx-les-Chartreux, reçue au Sénat par Vincent Delahaye, vice-président Sénateur de l’Essonne, pour une présentation de Réseau-Experts, dans la perspective d’une nouvelle législation relative au télétravail. Suite à son interview sur Vivre FM, elle devait être contactée par Laetitia Brossard, la collaboratrice parlementaire d’Amélie de Montchalin. Laquelle s’est mise en quatre pour lui faire rencontrer Florence Gelot, la Conseillère Emploi Ressources de Sophie Cluzel, la Secrétaire d’Etat auprès du Premier ministre, chargée des personnes en situation de handicap – une rencontre qui eut lieu à l’Assemblée Nationale, en présence d’Amélie de Montchalin, qui s’était libérée pour l’occasion malgré de fortes contraintes d’agenda. La même devait la mettre en relation avec Pierrick Courilleau, membre du groupe de travail handicap et accessibilité numérique, à l’Université Paris-Saclay. La rencontre a eu lieu pas plus tard que fin janvier. C’est lui qui a invité Nathalie à présenter son projet aux étudiants en DU entrepreneuriat. Parmi les autres élus du territoire, elle signale encore le vif intérêt manifesté par Igor Trickovski, le maire de Villejust, rencontré lors de la soirée organisée pour les partenaires et I-Connecteurs TEDx Saclay, ou encore Pierre Deniziot, conseiller régional d’Île-de-France, en charge des questions d’accessibilité et lui-même en situation de Handicap. « Avoir l’approbation de ces personnalités me motive à avancer encore plus vite et encore plus loin. » Et manifestement l’inverse est vrai : « Dès que j’en parle, le projet suscite l’intérêt et la volonté d’agir ».
Un vrai antidote à l’isolement
Parmi les seuls véritables bémols ou sujets d’étonnement : l’interpellation d’une interlocutrice sur le risque que l’initiative de Nathalie ferait courir d’isoler les personnes en situation de handicap. « C’est tout le contraire ! En donnant du travail à des personnes qui restaient chez elles sans rien faire ni contact extérieur, je contribue à les sortir de leur isolement. Bien plus, je leur permets de travailler dans de meilleures dispositions, sans être suspendues à la ponctualité de leur auxiliaire de vie et de l’APAHM (Aide aux Personnes à Handicap Moteur), avec tout le stress que cela peut susciter en cas de retard. » Ce qu’illustre bien le cas de Romain. « Depuis qu’il télé-travaille, il se lève l’esprit tranquille, en organisant son emploi du temps comme il le souhaite ». Résultat : « Il peut sortir plus facilement le soir. »
Sans compter la surveillance à distance dont il bénéficie désormais. « Un jour, n’ayant pas eu de ces nouvelles, je me suis inquiétée, confie encore Nathalie. Mais plus de peur que de mal : il avait juste reçu une visite impromptue qui l’avait empêché de décrocher son téléphone. » Une anecdote qui laisse deviner une attitude toute maternelle chez notre expert-comptable. On se risque donc à cette autre question : ne traiterait-elle ces personnes en situation de handicap plus comme ses enfants que comme ses des salariés ? L’intéressée s’en amuse : « Le professionnalisme, qui dicte la collaboration, n’empêche pas une attention bienveillante ».
A notre tour, nous lui suggérons des pistes : le WAWlab, du fait de son engagement pour le bien-être au travail et dont le premier workshop de l’année 2019 était consacré au… télétravail ; EDF Lab, partenaire de Handiversité ou encore l’Adezac (Association des chefs d’entreprise du parc de Courtabœuf)… Autant de pistes qu’elle s’engage à explorer en veillant, insiste-t-elle, à bien faire comprendre le sens de sa démarche : non pas convaincre ses interlocuteurs de renoncer à leurs experts comptables, mais les sensibiliser à l’enjeu de l’insertion des personnes en situation de handicap par le télétravail.
Malgré le temps qu’elle consacre à ses projets et tous ceux qu’ils engendrent, elle s’excuserait presque d’une disponibilité limitée (« je dois faire vivre mon cabinet et m’occuper de ma famille »). Comment fait-elle néanmoins pour se démultiplier autant ? Elle, sur le ton de la confidence, mais avec le sourire : « C’est compliqué ! Heureusement, qu’il y a Alain. Mais il me faut pouvoir m’appuyer sur d’autres bonnes volontés. » A bon entendeur…